Témoignages en vrac...

1988 : Sauvetage au Maroc
1990 : 40° anniversaire du Club

1988

Sauvetage au Maroc :

Le dimanche 21 février 1988, 9 spéléologues (1 Français, 1 Espagnol, 1 Portugais et 6 Marocains) pénètrent dans la grotte du Wit Tandoum pour y réaliser le tournage d'un film. Au retour, l'équipe est bloquée par une crue qui ennoie la galerie vers 800 m de l'entrée. Deux équipiers (O.Patricolo et J. Victoriano) tentent de sortir en franchissant des voûtes mouillantes, mais ils se retrouvent définitivement bloqués à 450m de l'entrée, en panne d'éclairage. Commence alors l'un des plus spectaculaires secours de l'histoire de la spéléologie française, dans lequel les plongeurs dijonnais ont joué un rôle primordial.

Lundi 22 Février : préparation

Je reçois un appel téléphonique de Jacques Michel, directeur du Spéléo Secours Français : " Un voyage au Maroc, t'es partant ? ". Et nous voilà enrôlés pour un nouveau secours ! Après quelques brèves explications sur les conditions climatiques, la position géographique, la configuration de la cavité et la situation des victimes, le voyage est loin de s'annoncer comme un séjour touristique.

En effet, neuf spéléologues sont bloqués depuis dimanche matin dans la grotte de Witt Tamdoun à proximité d'Agadir, où des pluies diluviennes sévissent depuis plusieurs jours. La cavité se présente comme une rivière souterraine qui, en période de crue, peut se noyer sur une distance de huit cents mètres.

Les heures qui suivent voient les prises de courant réquisitionnées pour recharger les accumulateurs des projecteurs et des lampes étanches, les bouteilles et le matériel se conditionner dans des caisses, et en dernier lieu, le bonhomme s'allonger pour un sommeil préventif...

Dans la caserne des pompiers de Dijon, B. Le Bihan prépare le matériel de plongée.

Mardi 23 février : départ

Quelques précisions sur l'opération et des renseignements administratifs ponctuent la matinée. La confirmation de départ ne donne le feu vert qu'aux alentours de 12h 30. Le regroupement se déroule au Centre de Secours Principal de Dijon, comme pour les sauvetages précédents (Pologne, Suisse etc...). L'équipe se compose, cette fois de seize membres d'origines et de milieux professionnels divers ( plombier, enseignant, médecin, maçon etc...) tous réquisitionnés par le ministère de l'Intérieur. Un seul lien nous unit, la spéléo plongée et l'esprit de solidarité qui en découle.

Sur le tarmac de l'aéroport d'Agadir

Le matériel s'amoncelle au milieu de la cour au fur et à mesure de l'arrivée de l'équipe. Trente mètres cubes pour un poids de trois tonnes nous laissent entrevoir quelques problèmes de transport !.. Après un retard d'ordre technique, un avion de type "Caravelle" se pose sur l'aérodrome de Dijon-Longvic. Le chargement s'effectue dans la soute à bagage d'un volume de 6 m3, et le reste trouve sa place, ficelé entre les sièges des passagers. Ce n'est que vers 21 h 30 que nous quittons le sol dijonnais pour Agadir.

Mercredi 24 février : le sauvetage

Un accueil chaleureux nous attend à l'aéroport d'Agadir, où le traditionnel thé à la menthe nous est servi. Le matériel est chargé dans des " Land Rover", et sur deux camions.

Chargement du camion municipal chargé d'emporter le matériel jusqu'au Wit Tandoum.
On reconnaît de gauche à droite : J.F. Dusz, Ch. locatelli, J. Bariod, P. Degouve, R. Limagne et sur le camion, B. Bernard et A. Garneret.

Puis l'équipe monte à bord de petits véhicules tous terrains. Trente kilomètres de route défilent sans encombre. A un carrefour, nous bifurquons pour prendre une piste. Vingt kilomètres nous séparent encore de la cavité. La pluie redouble !... La couleur rouge de la terre recouvre les véhicules. De profondes ravines entrecoupent le chemin. La voiture de tête franchit un Oued à gué, qui, en temps ordinaire, doit ressembler à un mince filet d'eau se faufilant entre les galets.

Ici nous affrontons un torrent tumultueux où la deuxième voiture se voit bloquée, mouillant jusqu'au genoux ses occupants.

Un camion de matériel y restera ensablé jusqu'à la fin de l'opération, endommageant compresseur haute pression et matériel d'éclairage. Mais, voilà que la voie s'incline, et que de la piste, nous passons bientôt à un chemin muletier. Le sol disparaît sous la roue d'un véhicule de tête, un muret s'abat devant un autre, le sol devient glissant, il faut descendre, pousser, remonter, puis redescendre à nouveau pour alléger le véhicule.

Les voitures ne peuvent pas aller plus loin. Lulu patauge dans la gadoue...

Et heureusement que la nuit nous cache les précipices! Après avoir effectué quatre mille kilomètres en moins de trois heures, il faudra quatre heures pour vaincre ce tronçon de piste. Selon les renseignements, une logistique "d'enfer" nous attend au pied de la grotte où nous pourrons nous reposer et nous alimenter. Malheureusement, en guise d'hôtel trois étoiles, deux tentes de trois mètres carrés, percées de toutes part, recouvrent une dizaine de lits de camps qui ont bien du mal à se tenir hors de l'eau. Quant à la nourriture, les équipes de secours sur place n'en ayant pas pour elles-mêmes, seraient bien en mal de nous en fournir. Une décision d'urgence s'impose: Une première équipe de quatre hommes partira en reconnaissance, le reste du groupe se replie aux premières habitations, pour établir un camp de base.

L'équipe de reconnaissance effectue un parcours aquatique de quatre cents mètres et retrouve deux hommes affaiblis, réfugié sur un petit talus de glaise. Transis de froid, affamés, leurs premières émotions passées, ils indiquent la situation de leurs collègues: situés à environ trois cents mètres en amont, deux des sept spéléos se trouvaient physiquement dans un état alarmant, au moment de leur départ. Après plusieurs heures d'attente, profitant d'une légère décrue, rassemblant un peu d'éclairage, de force et de courage, ils tentèrent une sortie, dans l'espoir d'obtenir des secours Malheureusement, après bien des difficultés surmontées, courant, vasques d'eau profondes, cascade, les derniers sursauts de leur éclairage les obligent à abdiquer devant une voûte mouillante et à se réfugier sur un promontoire de glaise.

Il pleut toujours, portage jusqu'à l'entrée de la rivière souterraine.

Deux sauveteurs partent aussitôt en reconnaissance plus en amont, pendant que l'équipe ressort les deux premières victimes au grand jour. L'arrivée brutale d'une crue et quel­ques difficultés techniques contraignent l'équipe de pointe à un retour précipité.

La crue redoublant et des pluies incessantes nous forcent à un repli général au camp de base. Un hydrogéologue présent sur les lieux depuis le début de l'accident, nous révèle que le niveau d'eau de la cavité aug­mente, quatre heures après le début de chaque averse, et la décrue s'amorce dans un même laps de temps après l'ondée.

Un repas frugal, composé d'un tajine de mouton et de pain, nous est servi dans une habitation typique de la contrée. Assis en tailleur, sur des tapis, la situation est examinée en présence de toutes les équipes de secours. Des priorités sont données. Dans un premier temps, un nouvel équipement de la cavité s'impose, l'élaboration d'une main courante nous facilitera la progression dans le courant.

Ensuite une équipe médicale sera envoyée en pointe, dans l'optique de retrouver et d'assurer des soins de première urgence aux deux victimes les plus touchées. Des équipes se forment. L'équipe de pointe sera composée d'un Médecin, de deux plongeurs et de trois porteurs.

D'autres groupes prépareront les équipements. La pluie a cessé. Le thé nous brûle encore les lèvres quand nous remontons à la résurgence. Le niveau de l'eau a baissé, mais se situe à une cote encore trop importante. Des repères sont placés, et les heures passent dans une inaction pesante. Enfin, à la nuit tombante, les premières équipes pénètrent dans la grotte. A notre grande déception, la pluie recommence à tomber.

Une équipe entre dans la grotte (A. Garneret, C. Torre)

Après concertation, nous décidons quand même de tenter une pointe de trois heures, nous permettant un repli d'une heure, ce qui devrait correspondre au moment de la crue, conformément aux dires de l'hydrogéologue.

La progression est pénible en raison d'un fort courant et de lacs profonds. II s'ensuit une escalade sur une échelle, ce qui, avec le matériel de plongée, n'a rien d'une partie de plaisir! Le temps s'égrène inexorablement. II est déjà 20 h 30 , une heure que nous sommes rentrés dans la cavité. Enfin, nous nous heurtons à la première vraie difficulté. Un siphon d'un aspect peu engageant. L'eau, couleur café, n'offre guère de visibilité.

Je m'immerge, j'allume mes lampes qui ne procurent qu'un halo dérisoire. A tâtons, j'essaie de trouver le passage. La roche très découpée ne facilite guère la progression. Cependant, mètre après mètre, le fil d'Ariane se déroule derrière moi. La paroi remonte. J'émerge. Je ne suis plus dans l'eau et cependant quelque chose de palpable m'empêche de respirer sans détendeur et de voir plus loin que la vitre de mon masque. De la mousse de crue sur un mètre d'épaisseur. II me faudra nager vingt bons mètres avant de sortir de ce cloaque. J'attache mon fil et rebrousse chemin pour retrouver mes camarades.

A gauche, l'un des rescapés du sauvetage.

L'équipe médicale reste sur place. II est 21 h 00 quand nous replongeons, Bernard LEBIHAN et moi, chargés de vivres et d'éclairage, à l'abri dans des containers étanches. Que se passe t'il dehors ? La pluie a-t-elle redoublé ? Qu'importe, il nous reste encore une heure pour progresser plus avant. Sans encombre, nous franchissons la portion de galerie noyée et atteignons le point terminal du fil d'Ariane. Au bout d'une cinquantaine de mètres de progression aquatique, une cascade nous barre la route. De toute évidence le passage se situe à la base de celle ci. Malheureusement un courant violent nous empêche d'y accéder. II faudra la contourner en empruntant un endroit escarpé.

Dans cette partie de la cavité aucun emplacement pour prendre pied. Chacun notre tour, nous enlevons bouteilles, palmes et équipement, pour tenter l'escalade. Après plusieurs tentatives infructueuses, il faut se rendre à l'évidence, sans matériel, la suite est inaccessible. Laissant les sacs de vivres, c'est la rage au cœur qu'il nous faut refranchir le siphon.

21 h 45

Retour auprès de l'équipe; après quelques explications, il s'avère que sur place, nous possédons un minimum de matériel, qui nous permettrait d'effectuer l'escalade. Un quart d'heure pour tenter de franchir l'obstacle! Tant pis, on fonce, même si nous n'accomplissons que l'escalade, ce sera du temps de gagné pour l'équipe suivante. Nous retrouvons le vacarme de la cascade. Je me déséquipe. Bernard, ballotté par les remous, suspendu d'une main, tenant mon matériel de l'autre, se tient à l'abris du courant dans un ridicule petit renfoncement. Je lance une sangle sur une aspérité qui cède sous mon poids. Je recommence. Finalement, la sangle accroche une saillie; ça tient bon ! Je me hisse, noue une corde, monte le matériel et nous voilà en amont de la chute d'eau. Un regard sur nos montres: 22 h 10

Sur nos repères, l'eau n'a pas monté. Sans un mot, nous nous allégeons de notre équipement, et dans un palmage effréné, au risque de nous faire prendre par la crue, nous tentons de rejoindre les victimes. Des vasques profondes, de la nage à contre-courant, des passages étroits entravent notre progression. Une voûte mouillante suit derrière laquelle nous apercevons une forme bleue plaquée contre la roche.

Je la retourne, ce n'est qu'un canoë écrasé par le courant! Des voix, je ne distingue rien. Est-ce le bruit de l'eau se fracassant sur les lames de roche? Le bruit du sang palpitant sur nos tempes ? Au détour de la galerie, j'appelle ou plutôt je hurle. On me répond, j'accélère. Et là, devant moi, sept hommes! Est-ce la lumière de mes projecteurs qui les fascine tant ? On se regarde sans rien dire, combien dure cet instant avant que le premier mot ne résonne dans la cavité? "Vous parlez français?" On se sert les mains, les sourires explosent sur ces visages fatigués.

Retour vers les véhicules

Rassuré, je retrouve sept personnes affaiblies, mais en pleine possession de leurs moyens. Réfugiés sur une plate-forme où ils ne tiennent que recroquevillés les uns contre les autres, ils me racontent leurs péripéties.

Partis le dimanche matin dans la grotte, qu'ils connaissaient bien, dans le but de tourner un film vidéo, ils n'avaient pris qu'un rapide petit déjeuner, des vêtement légers et un peu de carbure, pensant ne réaliser qu'une brève incursion. Malheureusement, pris par la crue, ils ne purent rejoindre les parties exondées de la cavité située à deux cents mètres en amont, et furent contraints de se réfugier sur cette petite plate-forme.

Rapidement, l'éclairage avait faibli. II fallait s'organiser. La crue, en cet endroit, montait de un mètre cinquante, en l'espace de deux minutes, ne leur laissant que deux petits mètres entre le plafond et l'eau, inondant complètement leur refuge.

Les deux plus expérimentés du groupe prirent la décision que l'équipe devrait s'entraîner à gravir la faille qui leur offrait un abri pendant la montée des eaux. Puis, dans le noir le plus complet, les pieds nus au ras de l'eau, ils attendaient le contact de l'élément pour donner le signal à leurs collègues de regagner leur inconfortable refuge.

Là, en appuis sur les jambes, collés à la roche humide et froide, ils devaient attendre deux heures pour que la rivière leur concède le promontoire.

Je reste avec eux, et Bernard repart chercher les vivres et l'éclairage, abandonnés à la cascade. Une ration individuelle, un peu de carbure que je conservais sur moi, sont répartis entre eux.

Mince repas, qu'une barre de chocolat coupée en trois, qu'une soupe et quatre sucres pour sept ! Bernard revient et c'est l'abondance : couvertures de survie, vivres, éclairage pour chacun. C'est le luxe quand on vient de passer quatre jours sous terre !

23 h00

Mon équipier nous quitte pour informer les secours extérieurs de la découverte des sept victimes. Un rapide calcul me permet de leur affirmer que dans quatre heures au maximum une équipe sera là pour assurer leur évacuation.

Les premières heures s'écoulent. On bavarde entre deux soupes en buvant un café. De temps à autre, je jette un regard inquisiteur sur le niveau de l'eau. Rien ne bouge...

Les quatre heures se sont écoulées; toujours pas de secours. Des questions fusent, auxquelles j'essaye de répondre sur un ton le plus persuasif possible. Mais le moral reste au beau.

Ils ressortent même la caméra vidéo, qui, à bout de batteries, filme quelques instants de l'évènement. Enfin, de la lumière ! Trois plongeurs P.DEGOUVE, R.LAVOIGNAT, J. MICHEL, arrivent. On regroupe le matériel et tout le monde se jette à l'eau. Deux d'entre eux, qui ne savent pas nager, se raccrochent à des bouées.

Tout se déroule très vite. Poussés par le courant, la progression est rapide. La première voûte mouillante est passée sans encombre, la cascade franchie dans la foulée et le siphon qui devait poser problème n'est plus qu'une ridicule portion de roche inondée, grâce à une décrue miracle. Une demi-heure plus tard le premier rescapé ressort.

Et, là, après avoir parcouru sept cent mètres dans l'eau, passé voûtes mouillantes et cascades avec un tonus extraordinaire, nos victimes s'effondrent devant les projecteurs des caméras. II est nécessaire de les soutenir pour regagner les tentes médicales.

La pluie a cessé, tout le monde est ressorti de la cavité et l'évacuation vers Agadir se fait en hélicoptère.

Jeudi 25 février : retour à Agadir

II est 6 h00 quand le dernier rescapé ressort de la cavité. Pour nous, la mission est accomplie ! Mais il faut encore regrouper le matériel, le charger sur les véhicules tout terrain avant de savourer un moment de tranquillité en attendant l'hélicoptère Puma.

Après l'évacuation des victimes, ce dernier nous transporte sur Agadir. Le voyage s'effectue en trente minutes; beau record à comparer au périple de l'aller.

Nous sommes accueillis dans un hôtel où nous prenons un peu de repos. Le soir, nous sommes conviés à un dîner fastueux. Devant chaque place nous attend un cadeau typiquement local.

Vendredi 26 février : retour à Dijon via Rabat.

Après une nuit réparatrice, nous retrouvons notre matériel à la caserne des Sapeurs-Pompiers d'Agadir. Chargement et déchargement finissent par devenir presque routinier. Notre "Caravelle" est là, sur la piste de l'aérodrome d'Agadir avec ses sympathiques pilotes. Destination Rabat, où nous sommes reçus par M. DESLANDES, Directeur de la Sécurité Civile française ainsi que son homologue Marocain, et interrogés par la presse marocaine. Ce n'est que vers 20 h 00, que nous atterrissons à Dijon où une réception nous est offerte.

De retour à Dijon, les sauveteurs font la une de la presse locale.

Participants : Michel Jacques, Jean Claude Frachon, JeanBariod, Bruno Bernard, Alain Cornu, Patrick et Sandrine Degouve, Jean François Dusz, Alex Garneret, Robert Lavoignat, Bernard Lebihan, Robert Le Pennec, Rémy Limagne:, Christian Locatelli, Bruno Théry, Cosimo Torre.

Article de J.F. Dusz paru dans Sous le Plancher 1989 n° 4

 

1990

C'était il y a 20 ans, le 40° anniversaire du SCD :

A l'occasion du 40° anniversaire du Spéléo-Club, nous avions déjà réuni plus de 80 personnes pour une soirée festive ponctuée de témoignages, de films et de photos. Quelques photos de cette soirée à laquelle participaient les tous premiers dirigeants du club.

Au centre, le docteur Castin, Jean Lacas et Bernard Cannonge.

A gauche, M. Breugnot, membre fondateur et 1° président du SC Dijon.

Robert Rorato, Alexandre Garneret et Jean Lacas.

Serge Derain en grande conversation avec Bruno Dressler.

A gauche, le professeur Henri Tintant, au second plan, Marc Barbier et Michel Vigoureux et son épouse.