L’été indien aura tenu jusqu’aux premiers jours de novembre et nous ne pouvions pas faire autrement que d’en profiter au maximum. Il faut dire qu’après un été besogneux durant lequel les chantiers de désobstruction se son globalement bien terminés, nous avions du pain sur la planche et largement de quoi occuper ces deux semaines en Cantabria. Nos explorations se sont donc polarisées sur trois cavités. Les deux premières (Cubillo Fraile et Cueva d’Helguera) font partie du système de la Gandara, la troisième (cueva de Carcabón) s’ouvre près de Ramales, raison pour laquelle l’explo s’est faite avec nos amis de l’AER.
Dimanche 19 octobre 2014 (P. et S. Degouve) :
Avant de poursuivre l’exploration (voir c.r. du 13/09) nous préférons voir comment se présente la suite derrière le lac car inutile d’emporter tous une néoprène si la baignade se limite à ce seul bassin.
Comme la météo se maintient au grand beau temps avec des températures estivales, le courant d’air à l’entrée est d’une rare violence. Dans la galerie des Sans Dents, il reste très fort. Pendant que Sandrine équipe le puits, j’enfile ma néoprène pour traverser le bassin.
Le conduit des Sans Dents et, en arrière plan le puits de 25 m donnant sur le lac, gras et glissant…
Celui-ci est assez profond et semble même se poursuivre par un conduit noyé. Vingt mètres plus loin, je prends pied dans un méandre argileux haut d’une dizaine de mètres et large de moins d’un mètre en moyenne. Nous sommes bien loin du collecteur attendu et pourtant si proche. Je progresse ainsi sur plus de 100 m jusqu’à une confluence. La galerie de droite amène la majeure partie du courant d’air, mais elle devient plus étroite. Du coup, la néoprène n’a plus de raison d’être portée et elle constitue même une gêne pour la suite. Revenu au puits il ne me reste plus qu’à équiper une longue traversée pour éviter le plan d’eau. Heureusement, une corde posée en téléphérique depuis le dernier fractionnement permet de progresser le long de la paroi couverte d’argile et dépourvue de prises. Cela reste quand même très sportif et je ne suis pas mécontent d’arriver au bout de mon stock d’amarrage. Il restera seulement 3 points à mettre et ça attendra la prochaine fois.
Mardi 21 octobre 2014 (D. Boibessot, P. Degouve, S. Latapie, Ch. Philippe) :
Serge est arrivé la veille, aussi nous pouvons aller tous ensemble au Cubillo. La descente est rapide jusqu’à la galerie des Sans Dents. Patrick poursuit l’équipement du puits afin d’éviter le lac. C’est toujours aussi boueux et la traversée reste assez technique. Une fois tous de l’autre côté, nous démarrons l’explo en faisant suivre la topo. Le méandre n’en finit pas et les petites visées s’enchaînent jusqu’à la première bifurcation. La suite demeure au fond du méandre qui se rétrécit progressivement. En contrepartie, c’est un peu moins argileux.
Le méandre du Chamignon doit son nom à cette curieuse « cheminée de fée ».
Environ cent mètres après le croisement, la morphologie change et après avoir franchi un ancien siphon qui concentre tout le courant d’air, nous nous relevons dans un conduit bien plus grand. Nous en profitons pour casser la croûte mais rapidement car il ne fait pas très chaud. Nous reprenons l’explo au rythme de la topo, mais les parois ne tardent pas à se rapprocher et nous voici de nouveau dans un méandre que nous parcourons cette-fois-ci en hauteur. Cela n’arrête pas de tourner et nous avons bien du mal à savoir où nous nous dirigeons même si la tendance de certaines visées semble nous décaler vers le nord.
A mi parcours, la voûte s’abaisse brutalement au niveau d’un ancien siphon qui concentre tout le courant d’air.
Nous progressons ainsi sur plusieurs centaines de mètres jusqu’à ce qu’une belle résonance nous indique que nous nous approchons d’un vide plus grand. Comme nous le supposions nous parvenons à une base de puits dont la voûte semble être supérieure à 50 m. Mais à une vingtaine de mètres, un grand redan pourrait correspondre à l’arrivée d’une galerie. Alors Serge tente une escalade, mais nous manquons cruellement de matériel et de corde. Il s’arrête sur un palier à une dizaine de mètres de l’objectif. Nous abandonnons préférant attendre le report topo pour savoir exactement où nous sommes. Le retour paraît bien long et ce sont un peu plus de 600 m de méandre que nous venons d’explorer. Pour ne rien laisser, nous topographions également l’affluent de la Pétanque jusqu’à la base d’une petite cascade.
A la base du P.50 qui termine le méandre du Champignon.
Au puits, Christophe déséquipe une partie de la main courante et le reste des verticales. Le matériel est couvert d’argile et nous aussi, c’est pourquoi nous en ressortons une grande partie car elle serait inutilisable en l’état. La remontée du Cubillo reste pénible et chacun se plait à imaginer ce que cela serait avec des sacs de bivouac. Sortie à la tombée de la nuit. Le développement du Cubillo passe à 1920 m (-141 m).
Lundi 20 octobre 2014 (D. Boibessot, P. et S. Degouve, J. Palissot, Ch. Philippe) :
L’équipe s’est bien renforcée et pour démarrer en douceur, nous montons à Helguera afin continuer la désobstruction de l’extrémité de la galerie Dogora. Le courant d’air est très fort et il provient principalement des deux passages repérés la fois précédente. Le premier, au-dessus du ressaut de 5 m est un soupirail donnant sur un boyau incliné qui s’agrandit à quelques mètres. Le second, au bas du ressaut, est une diaclase étroite mais qui paraît plus large et surtout plus profonde. Dans le doute, nous attaquons les deux chantiers de front. Cela avance bien et finalement, c’est en bas que nous concentrons nos efforts. En fin de journée, un passage confortable est ouvert. Christophe descend de quelques mètres avec le peu de corde dont nous disposons. Il entrevoit le fond à moins d’une dizaine de mètres ; c’est plus large mais un peu chaotique et surtout la suite est surplombante donc difficilement franchissable sans matériel.
Le bunker, pour être au plus près du front lorsque ça barde !
Jeudi 23 octobre 2014 (D. Boibessot, P. et S. Degouve, S. Latapie, J. Palissot, Ch. Philippe) :
Nous retournons à Helguera pour descendre le puits ouvert deux jours plus tôt à l’extrémité de la galerie Dogora. Christophe commence à équiper un premier puits de 12 m qui nous amène sur un replat ébouleux encadré par deux puits. Pendant qu’il descend l’un d’eux, nous équipons une rampe inclinée menant, après un passage bas, à un niveau de galerie. Cela semble plus intéressant et nous laissons tomber pour le moment le puits vu par Christophe. Ici, le courant d’air est bien présent, mais la suite est assez compliquée. Dans l’axe de la galerie principale, nous rampons entre de grandes dalles effondrées sur une trentaine de mètres, jusqu’à des boyaux quasiment impénétrables. Juste avant, nous descendons un petit puits de 5 m creusé dans un impressionnant remplissage. Celui-ci est plutôt de mauvaise augure pour la suite. Pendant que Serge descend une seconde verticale de 17 m sans suite, les autres fouillent le secteur sans trouver grand-chose.
Au bas du premier puits, un épais remplissage a été surcreusé.
Dans ce remplissage très grossier, on distingue de gros galets de grès.
Il nous reste cependant une belle fracture à voir de l’autre côté de la galerie, juste au bas de la rampe. Celle-ci semble assez profonde et beaucoup d’air en sort. Sandrine commence à l’équiper mais la corde disponible est un peu trop courte. En raboutant un ultime bout de 10 m, elle parvient à faire un équipement de fortune. Nous nous retrouvons tous 35 m plus bas dans une belle galerie avec amont et aval.
La base du puits de 35 m
Nous commençons par l’amont qui remonte doucement. En contrebas, un conduit parallèle glaiseux double le conduit principal. Celui-ci se développe sur un écran gréseux, il sera difficile de descendre plus bas. Nous progressons ainsi d’une petite centaine de mètres jusqu’à de belles coulées stalagmitiques terminées par une escalade estimée à 7 ou 8 m. La suite est bien là car le courant d’air est toujours très sensible et surtout, le conduit semble assez vaste.
Dans l’amont de la galerie.
Après avoir topographié un court affluent, nous filons vers l’aval, poussés par le courant d’air qui devient violent dans les passages étroits. Nous avançons principalement dans le niveau inférieur, plus petit et argileux, car le conduit principal est bouché ponctuellement par d’énormes remplissages. Nous progressons encore sur plus de 160 m jusqu’à une petite escalade glissante. En lui faisant la courte échelle, Dom parvient à se hisser au-dessus de l’obstacle et poursuit l’exploration sur une cinquantaine de mètres. Nous en restons là pour aujourd’hui et ressortons tranquillement à la tombée du jour. (développement topographié : 535 m)
Samedi 25 octobre 2014 (D. Boibessot, P. et S. Degouve, Ch. Philippe) :
Dernière sortie du séjour à la cueva d’Helguera. Nous avons amené suffisamment de matériel pour rééquiper le P.35 et assurer la suite. Nous sommes vite au terminus et pour l’escalade, le plus grand en taille est désigné d’office. Après un lancer de corde sur un becquet, Patrick doit cependant poser encore 4 goujons pour franchir l’obstacle. Au sommet, la galerie change rapidement de profil et les dimensions deviennent impressionnantes mais de gros blocs font leur apparition. Le secteur est très facturé mais au plafond, on devine nettement une voûte à environ 30 m de hauteur. La largeur dépasse par endroit 25 m et après avoir traversés une salle, nous devons contourner plusieurs blocs cyclopéens. Au sol les grès affleurent en plusieurs endroits. Une bonne centaine de mètres après l’escalade, nous retrouvons un conduit moins chaotique qui remonte sur de glissantes coulées stalagmitiques. Nous taillons quelques marches avec le pied de biche que nous avons pris soin de garder avec nous. Mais un peu plus loin, la coulée devient franchement verticale et la suite se trouve une quinzaine de mètres plus haut. Le « grand » est à nouveau mis à contribution car il semble difficile de grimper en libre.
La seconde escalade (14 m) remonte le long d’une coulée stalagmitique.
Pour gagner un peu de terrain, Christophe taille quelques marches et c’est reparti pour une série de goujons. Dans la calcite, certains d’entre eux battent de l’aile, mais finalement ça passe assez facilement. Une fois tous réunis au sommet de l’escalade nous reprenons l’explo au rythme de la topo. La galerie change à nouveau d’aspect et nous progressons désormais dans un canyon d’une dizaine de mètres de large pour près de 30 m de hauteur. Le sol argileux est quasiment plat mais surcreusé en son centre par le lit sablonneux d’un ruisseau aujourd’hui à sec.
Le beau canyon au sommet de l’escalade.
Au bout de 150 m, la galerie tourne à angle droit. En face, dans l’alignement du canyon, on distingue nettement une suite en hauteur ; encore une escalade, ce sera pour plus tard. A droite, après ce brusque virage, nous rencontrons le ruisseau qui se perd dans un bassin limpide.
Le ruisseau provenant de l’amont (env. 5 l/s) se perd complètement dans ce bassin cristallin. Nous ne l’avons pas retrouvé plus en aval.
Nous progressons encore d’une quarantaine de mètres jusqu’à un lac profond suivi d’une voûte basse formée par un écran de grès. Juste au-dessus, le canyon continue de façon indépendante. Par une courte escalade pour atteindre une vire argileuse, Dom et Christophe parviennent à contourner le bassin. La suite, une fois encore, est en hauteur, au sommet d’une grande coulée stalagmitique. Nous n’avons plus de matériel alors nous nous arrêtons là pour aujourd’hui. Nous fouillons un diverticule sur la droite mais celui-ci devient très étroit et sans air.
Au terminus, le ruisseau sort d’un conduit bas et humide, mais juste au-dessus, le canyon se poursuit par une escalade d’une dizaine de mètres.
Le ruisseau, peu avant le terminus. D’où vient-il et où va-t-il ?
(Développement topographié : 507 m, la cueva mesure au total 1370 m).
Mercredi 29 octobre 2014 (P. et S. Degouve, A. Garcia Fuentes (AER)) :
La sécheresse persistante nous incite à retourner rapidement à Carcabon avant les pluies d’automne. L’idée de patauger encore dans la boue liquide ne nous enthousiasme guère, mais l’enjeu est tel que ce désagrément paraît bien secondaire.
Angel de l’AER se joint à nous. Comme il se doit, le courant d’air est fort et va croître durant la journée. Dans la Via Coloscopia, les voûtes mouillantes n’en sont plus et certains bassins ont disparu. Au lac, le niveau est un mètre plus bas que la normale et le capteur reef net est donc hors d’eau. Nous parvenons assez rapidement à notre terminus et après avoir modifié l’équipement de la seconde escalade nous pouvons commencer l’explo.
Le départ du P.25, à notre terminus de juillet.
Le puits qui nous avait arrêtés mesure un peu plus de vingt mètres et se termine par une pente argileuse qui plonge dans un bassin à l’eau cristalline. Contrairement aux précédents, il ne s’agit pas d’un siphon car le fond reste visible même s’il est nécessaire de nager pour le franchir. Aurions-nous enfin dépassé la zone noyée ? Derrière, nous remontons une pente ébouleuse terminée par une cheminée. Heureusement, sur la gauche, un passage bas contourne ce puits remontant pour déboucher dans un conduit plus vaste. Celui-ci reste assez argileux, et est constitué de gros talus formant des montagnes russes agrémentées de toboggans glissants.
Les sédiments sont encore bien présents tout au long de la progression, même si désormais nous sommes au-dessus des niveaux de crue.
Cette-fois-ci, nous sommes bel et bien dans le vif du sujet. Le conduit continue à prendre de l’ampleur et soudain, nous entendons le grondement de la rivière qui s’écoule librement en contrebas. Par endroit, de superbes coulées de calcite indiquent le débouché d’affluents perchés. Malgré les dimensions importantes, nous ressentons toujours le courant d’air. Après avoir parcouru 400 m de galeries, nous décidons d’attaquer la topo en continuant l’exploration. Nous passons un premier carrefour puis la galerie prend l’allure d’un énorme tube, au sol plat qui débouche sur un second carrefour, plus imposant.
La blancheur des coulées stalagmitiques tranche avec l’ambiance sombre et uniformément argileuse de la plupart des galeries.
Sur la droite, Angel reconnait un gros méandre jusqu’à un puits estimé à une trentaine de mètres. Nous poursuivons alors sur la gauche, dans un éboulis pentu remontant dans une salle surmontée d’une cheminée haute de plus de 45 m et terminée par une coulée stalagmitique au sommet de laquelle on distingue une galerie (escalade d’environ 7m). Sur la droite, derrière de gros blocs effondrés, un conduit nous amène au bout d’une centaine de mètres dans une petite salle très ventilée mais barrée par une trémie instable. Celle-ci serait à revoir ainsi que d’autres départs que nous laissons pour une prochaine fois. En effet, les pages du carnet topo sont comptés et nous souhaitons absolument nous raccorder à notre terminus précédent avant de ressortir. Nous topographions quand même le grand méandre vu par Angel. Celui-ci est bien ventilé et peu après le puits, on perçoit nettement le bruit de la rivière. Nous laissons ce bel objectif pour une prochaine fois et retournons sur nos pas pour boucler la topo. L’avant dernière page du carnet sera atteinte au bas du puits de 20 m. Nous ressortons vers 19 h 00 comme d’habitude couverts d’argile et comme d’habitude nous nous promettons d’élargir certains passages étroits de la zone d’entrée. (Développement topographié : 920 m ; la cueva totalise 2270 m de galerie).
Angel au retour de la pointe, content, mais avant de ressortir il faut repasser la via Coloscopia, ses étroitures et ses tas de boue…
En dehors de ces explorations, nous avons également réalisé quelques prospections notamment au-dessus de la Gandara. Et pour terminer notre séjour, suite aux journées du Sedeck et en vue d’une future coloration dans la cueva de la Valina, nos amis anglais (Peter Smith et Philip Papard) nous ont fait visiter la Reñada, une cavité majeure de la dépression du Matienzo. Merci à eux.
Dans les galeries de la Reñada.
C.R. Patrick Degouve